Théories des émotions de Panksepp et comportement canin

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©Ina Hoekstra

Différentes théories des émotions ont été élaborées au fil du temps. Ces théories sont importantes pour comprendre comment les être vivants fonctionnent. En effet, Panksepp a observé que les structures cérébrales et les systèmes identifiés étaient très bien conservés au cours de l’évolution, chez les différents mammifères. L’expérience émotionnelle des chiens est donc probablement similaire à la notre, dans une certaine mesure, bien qu’elle soit également conditionnée par des sens pour certains très différents.

Panksepp a développé les « neurosciences affectives », aujourd’hui considérées comme un domaine de recherche dans les sciences du cerveau. Il a identifié sept systèmes émotionnels qu’il a appelés « primaires » : FEAR (PEUR), ANGER (COLÈRE), PANIC (PANIQUE), SADNESS (TRISTESSE), SEEKING (RECHERCHE), CARE (SOIN), LUST (DÉSIR) et PLAY (JEU). Ils sont écrits en lettres capitales pour les identifier comme des systèmes émotionnels. Ces systèmes influencent le comportement et sont hérités de nos ancêtres, car ils ont été conservés et transmis au cours de l’évolution. En effet, on les retrouve dans une grande variété d’espèces. Ils constituent un outil de survie pour les animaux, ce qui explique leur omniprésence parmi les espèces animales.
Ces systèmes peuvent être séparés en émotions négatives, comme la peur, la colère et la tristesse, et en émotions positives, comme le désir, la recherche, le jeu et l’attention. Ces émotions primaires prennent place dans la région sous-corticale du cerveau. Elles poussent les mammifères, dont les humains et les chiens, vers des activités qui assurent leur survie : la RECHERCHE est nécessaire pour trouver de la nourriture et un partenaire, le DÉSIR est nécessaire pour la reproduction, le SOIN est nécessaire pour élever une progéniture, et le JEU pour la vie sociale. D’autre part, la COLÈRE est nécessaire pour défendre les ressources, tandis que la PEUR induit une réaction vitale au danger, comme la fuite. La TRISTESSE est un système activé en cas de détresse liée à la séparation.
Panksepp a utilisé la stimulation électrique du cerveau pour découvrir quelles zones provoquaient quelles réponses émotionnelles lorsqu’elles étaient stimulées. Dans ses travaux, il a également eu recours à la pharmacologie et à des lésions cérébrales et a travaillé principalement sur des mammifères.

Théories des émotions : naissance des réponses émotionnelles

Les études de Panksepp ont montré que les réponses émotionnelles primaires naissent dans des régions primitives du cerveau sous-cortical. Ces régions sont homologues chez tous les mammifères qu’il a étudiés en termes d’anatomie, de neurochimie et de fonctionnalité. Les émotions sont des informations pour l’être, sur son propre état de survie. Elles lui permettent de déterminer s’il est en danger, ce qui est crucial pour l’accomplissement du but de tout être vivant : la survie et la reproduction. Ces processus cérébraux primaires sont affinés par des mécanismes d’apprentissage, également appelés processus secondaires, puis par la cognition supérieure, appelée processus tertiaires. Les processus secondaires comprennent le conditionnement classique, le conditionnement instrumental et opérant, ainsi que les habitudes émotionnelles. Ces processus se déroulent dans les noyaux gris centraux. Les fonctions tertiaires se déroulent dans le néocortex. Il s’agit de fonctions exécutives, telles que la pensée et la planification, ainsi que l’intention d’agir et la régulation émotionnelle. Toutefois, ces processus tertiaires ne peuvent être étudiés que chez l’homme (Panksepp, 2010).

Panksepp n’était pas d’accord avec la théorie des émotions de James-Lange. En effet, il a décrit que les réponses émotionnelles vont des régions grises périaqueducales du mésencéphale jusqu’à divers noyaux des noyaux gris centraux, tels que l’amygdale, en passant par le diencéphale médian. Ces noyaux gris centraux interagissent avec les régions néocorticales et influencent les activités cognitives supérieures (Panksepp, 2010). Panksepp a suggéré que les différentes opinions et théories sur les émotions pourraient être simplement dues au fait que les scientifiques examinent « différents niveaux de contrôle ». De son point de vue, différentes régions du cerveau peuvent connaître des processus différents. L’approche évolutionniste de Panksepp a confirmé la théorie évolutionniste de Darwin (Davis & Montag, 2019). En effet, les avantages sélectifs, tels que les systèmes émotionnels primaires efficaces, sont maintenus par l’évolution.

Les différents systèmes émotionnels identifiés dans les théories des émotions

SEEKING system

Le réseau du système de recherche est souvent appelé « système de récompense du cerveau ». C’est une source d’énergie, également appelée  » libido « , et un système de motivation, permettant l’exploration enthousiaste et l’anticipation de l’excitation et de l’apprentissage. Ce système de recherche pousse les êtres à rechercher les choses qu’ils désirent. Ce système peut être suractivé, entraînant des comportements impulsifs et excessifs, mais aussi sous-activé en cas de maladie ou de stress. Le système de recherche est le faisceau cérébral antérieur médian et le système de récompense allant du mésencéphale ventral au noyau acumbens et au cortex frontal médian, qui est piloté par la dopamine (Panksepp, 2010). Chez les chiens, le système de recherche est engagé dans des comportements tels que la poursuite, la course, la traque. Il s’agit de comportements de recherche de plaisir. C’est donc un système qu’il faut fortement surveiller et satisfaire, sous peine de redirection vers des comportements indésirables (Cattet, 2016).

RAGE/ANGER system

Le système RAGE/COLÈRE est activé lorsque la RECHERCHE ne peut être réalisée. Le réseau cural correspondant va de l’amygdale médiane et de l’hypothalamus au gris périaqueducal dorsal. Il interagit avec le système PEUR, ce qui explique le lien entre les réponses de combat et de fuite. En effet, le système RAGE entraîne des comportements agressifs lorsque l’animal est contrarié, mais induit également le réveil du système PEUR chez l’antagoniste. Ce système est excité par le glutamate et la substance P, et inhibé par le GABA et les opioïdes endogènes (Panksepp, 2010). Chez les chiens, le système de la COLÈRE peut être activé en cas de soif excessive, de faim ou de frustration, mais aussi de restriction d’activité ou de douleur, lorsque le système de la RECHERCHE ne peut être satisfait. Cela souligne l’importance de fournir à un chien des moyens de satisfaire le système RECHERCHE, ainsi que de lui fournir une nourriture décente et suffisante, de l’eau, des soins et de l’affection (Cattet, 2016).

FEAR system

Le système FEAR protège les êtres de la mort ou de la douleur, les amenant à fuir ou à se figer. Différentes voies ont été identifiées. Lorsqu’un stimulus effraie un chien, l’information est transmise au cortex sensoriel, où elle est traitée. Le chien prend alors une décision. Lorsqu’un chien se souvient déjà d’un stimulus effrayant, l’information passe directement du thalamus à l’amygdale et il n’est pas nécessaire de prendre une décision. La réponse est immédiate. Une exposition régulière au stress entraîne le développement de voies neuronales qui permettent d’anticiper et d’éviter une situation. Cette voie passe entre l’amygdale et le gris périaqueducal. Cela montre l’effet important de la répétition des comportements, et comment la désensibilisation et le contre-conditionnement jouent un rôle dans la modification du comportement (Cattet, 2016).

LUST system

Le système DÉSIR est distinct pour les hommes et les femmes, et il est déclenché par les hormones sexuelles. Chez les femmes, l’ocytocine joue un rôle dans la disponibilité sexuelle, la confiance et l’assurance, tandis que la vasopressine induit l’affirmation de soi chez les hommes. Le système RECHERCHE participe à la recherche de partenaires sexuels (Panksepp, 2010).

CARE system

Le système SOINS veille à ce que les parents s’occupent de leurs enfants. L’ocytocine favorise les soins maternels. Elle contribue également à créer un lien entre la mère et sa progéniture. Cependant, l’ocytocine est également impliquée dans le lien entre le chien et l’homme (Panksepp, 2010).

SADNESS system

Le système TRISTESSE est responsable de la détresse liée à la séparation. Il s’étend de la zone grise périaqueducale dorsale à la zone cingulaire antérieure. Le glutamate et le CRF stimulent ce système, tandis que les opioïdes endogènes, l’ocytocine et la prolactine l’inhibent. Ils jouent un rôle important dans l’attachement social et les liens affectifs (Panksepp, 2010). Ce système est impliqué dans l’anxiété de séparation (Cattet, 2016).

PLAY system

Le système PLAY a un rôle important dans l’apprentissage des règles sociales et des interactions. Il libère des endorphines et d’autres opioïdes, favorisant la relaxation et le bonheur. Il contribue également à l’acquisition de meilleures compétences sociales, ainsi qu’à l’attachement social (Cattet, 2016).

Théories des émotions et pyramide des besoins de Maslow

En examinant les liens entre les émotions primaires et les besoins de Maslow, une étude a montré que le névrosisme, la tristesse et la peur sont négativement liés aux besoins de Maslow. Cela pourrait indiquer que les émotions négatives pourraient nuire à la satisfaction des besoins de Maslow. Ces voies neuronales sont importantes pour la survie, mais si elles sont souvent fortement activées, elles pourraient entraver la capacité d’une personne à satisfaire ses propres besoins. D’autre part, il a été démontré que l’extraversion et le PLAY étaient associés à la satisfaction des besoins physiologiques, de sécurité et d’appartenance. Dans cette étude, la RECHERCHE pourrait prédire l’accomplissement personnel de Maslow. Il a été démontré que les émotions primaires jouaient un rôle dans la satisfaction des besoins inférieurs de la pyramide de Maslow, tandis que les cinq grands traits étaient liés aux besoins supérieurs (Montag et al., 2020).

Expérience émotionnelle

L’expérience d’une émotion primaire n’est pas synonyme de capacité d’autoréflexion sur son expérience émotionnelle, ce qui ne serait possible que si le cortex était suffisamment développé. Mais les émotions primaires modifient le comportement et ont un impact sur l’apprentissage. Elles n’ont pas besoin d’être enseignées et apprises pour être expérimentées. Panksepp considérait que le néocortex était vierge à la naissance, et qu’il se développait ensuite grâce aux interactions avec les régions sous-corticales (Davis & Montag, 2019b). Cela signifie que l’expérience émotionnelle peut être ressentie et vécue spontanément, ce qui influe sur le développement du néocortex. En outre, il a été démontré que les déséquilibres des émotions primaires entraînaient des troubles mentaux (Davis & Montag, 2020).

Théories des émotions et personnalité

Il a été démontré que la personnalité dépendait des émotions et de la manière dont elles déterminent le comportement individuel. En effet, des études ont établi des liens entre les différences individuelles dans les systèmes émotionnels primaires et les cinq grands traits de personnalité. Ces traits sont également appelés « modèle de la personnalité à cinq facteurs ». Ce modèle stipule que les traits de la personnalité humaine peuvent être décrits selon cinq dimensions, qui sont l’extraversion, la conscience, le neuroticisme, l’ouverture et l’agréabilité. Chacun de ces traits est représenté par une échelle allant d’un score très faible à un score très élevé pour le trait (Cherry, 2023). Les différents systèmes émotionnels et leur activité jouent un rôle dans les traits de personnalité. La RECHERCHE pourrait être à l’origine de l’ouverture à l’expérience. Des niveaux élevés de TRISTESSE, de PEUR et de COLÈRE pourraient favoriser le névrosisme. Le JEU pourrait être à l’origine de l’extraversion, et un niveau élevé de SOIN et un faible niveau de COLÈRE pourraient induire l’agréabilité. Seul le caractère consciencieux ne semble pas être lié à un système émotionnel primaire. Ce résultat a été interprété comme le fait que le caractère consciencieux pourrait être davantage la capacité à la régulation des émotions qu’une émotion en soi (Davis & Panksepp, 2018, dans Montag et al., 2020). Ces liens entre les cinq grands traits de personnalité et l’échelle de personnalité des neurosciences affectives ont été observés dans plusieurs études (Montag et al., 2020).

Théories des émotions chez les chiens

Ces études sur le fonctionnement du système émotionnel dans le cadre des théories des émotions montrent qu’il est crucial de permettre à un chien de satisfaire ses propres besoins pour éviter l’apparition de problèmes comportementaux. Plus important encore, cela conditionne le bien-être du chien, tant sur le plan émotionnel que physiologique. Essayer de changer un comportement sans prendre en compte l’ensemble du système familial du chien et sans analyser sa possibilité de satisfaire ses besoins, serait incomplet et très probablement infructueux.

À propos

Mélissa WACHS HUULIK comportement canin

Contactez-moi ! Comportementaliste et éducatrice canin diplômée, j’interviens en Lorraine, Vosges, ainsi qu’à distance en visio.

Sources

Cattet, J., PhD. (2016, April 9). Animal Emotions – the driving force behind our dog’s behaviors – Smart Animal Training Systems. . . Smart Animal Training Systems. . . https://blog.smartanimaltraining.com/2013/09/16/animal-emotions-the-driving-force-behind-our-dogs-behaviors/

Cherry, K. (2023). What Are the Big 5 Personality Traits? Verywell Mind. https://www.verywellmind.com/the-big-five-personality-dimensions-2795422

Davis, K. L., & Montag, C. (2020). Animal Emotions: How They Drive Human Behavior.

Davis, K. L., & Montag, C. (2019). Selected Principles of Pankseppian Affective Neuroscience. Frontiers in Neuroscience, 12. https://doi.org/10.3389/fnins.2018.01025

Montag, C., Sindermann, C., Lester, D., & Davis, K. L. (2020). Linking individual differences in satisfaction with each of Maslow’s needs to the Big Five personality traits and Panksepp’s primary emotional systems. Heliyon, 6(7), e04325. https://doi.org/10.1016/j.heliyon.2020.e04325

Montag, C., Sindermann, C., Lester, D., & Davis, K. L. (2020). Linking individual differences in satisfaction with each of Maslow’s needs to the Big Five personality traits and Panksepp’s primary emotional systems. Heliyon, 6(7), e04325. https://doi.org/10.1016/j.heliyon.2020.e04325

Overall, K. (2013). Manual of Clinical Behavioral Medicine for Dogs and Cats-E-Book. Elsevier Health Sciences.

Panksepp, J. (2010). Affective neuroscience of the emotional BrainMind: evolutionary perspectives and implications for understanding depression. Dialogues in Clinical Neuroscience, 12(4), 533–545. https://doi.org/10.31887/dcns.2010.12.4/jpanksepp

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